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Historique
de la découverte du réseau de Matte Arnaude
L'histoire
qui suit est une saga spéléologique à rebondissements comme on les aime
qui a tenu en haleine le club durant plusieurs années. Celle-ci devait
nous mener au record de profondeur régional et à une jonction inespérée,
créant du même coup une nouvelle traversée spéléo variée d'envergure nationale.
En attendant un article de fond plus scientifique sur cette découverte,
voici le récit de l'exploration du réseau de Matte Arnaude
La découverte
Une fois n'est pas coutume pour un gouffre, l'exploration va s'engager.à
l'envers ; soit du bas vers le haut. Tout commence le 21 septembre 2002.
Ce jour-là, 4 membres du SCMNE (Jean-Michel Escande, Jean-Marie Briffon,
Pierre et Sébastien) sont guidés dans la partie classique du grand
réseau de Cabrespine par 3 membres du SCA (Sébastien Demeautis, Christelle
et Laurent Hermand)
Un peu d'avance sur l'horaire, un instant de paix intérieure, l'oil de
Laurent virevolte comme à l'accoutumée et soudain des signes qui peuvent
sembler anodins vont trahir la présence de quelque chose. Il s'agit d'abord
de gros galets de quartz bien nettoyés, signes d'écoulement torrentiel
alors que nous nous trouvons dans une partie fossile de la grotte à sédiments
très fins 25m au dessus de l'actif ; ensuite en s'approchant ce sont quelques
résidus organiques (débris de feuilles et bogues de châtaignes) qui sont
découverts à même le sol. Il s'agit d'une anomalie majeure étant donné
l'endroit. Bien vite, Laurent scrute les parois environnantes et découvre
un trou de la taille d'un pamplemousse au ras du sol, derrière un gros
barrage de calcite. Un puissant courant d'air s'en échappe.
L'équipe interclub d'un jour se soude rapidement pour attaquer l'obstacle
avec les moyens du bord, c'est à dire pas grand chose. Au bout seulement
d'une demi-heure, le passage est franchi et derrière, nous découvrons
avec stupéfaction ce qui ressemble à un trou de serrure géant, superbe
de régularité, attendant là depuis des dizaines de millénaires qu'une
clé ne daigne s'y engager. Ce jour-là, étant donné ce qui nous attendais
derrière, nous donnons tout son sens à l'expression "passage-clé" en
franchissant cette première galerie. S'ensuivent 70m de boyaux qui sont
rapidement parcourus à quatre pattes puis nous butons sur un siphon de
sable étroit et peu engageant ; il n'y a que 10cm d'air, mais que d'air !
Rendez-vous est pris, et le lendemain c'est à peu près la même équipe
(pour le SCMNE, Sébastien a été remplacé par Guy Gehin) qui se
retrouve à pied d'ouvre devant l'obstacle. La position de travail, tête
en bas et sans possibilité de se retourner exige une rotation du personnel
toutes les dix minutes. Le courant d'air augmente proportionnellement
au nombre de coups de pelle et il n'est bientôt plus possible d'avoir
une acéto allumée. Soudain le corps de Guy disparaît dans le sable, s'ensuivent
quelques secondes de silence puis un cri au loin. "une cascade!!".
Une cascade??? Sous les garrigues surchauffées de Trassanel et en plein
mois de Septembre.impossible ! Pourtant, ce n'est pas un canular, et c'est
l'un après l'autre que nous prenons pied, ce 22 du mois et sans encore
en prendre conscience, au cour du synclinal de Matte Arnaude. Une belle
aventure humaine et sportive vient de commencer. L'actif découvert s'infiltre
dans les alluvions mais un ensemble de galeries actives et fossiles s'ouvre
à nous vers l'amont. Pour la première fois, nous apercevons le contact
des schistes dans l'actif au niveau d'une petite cascade de 3m. Nous craignons
un instant le blocage, l'eau sortant soudain sous un barrage de calcite
infranchissable. Heureusement, la suite est découverte par une escalade
en libre de 15m qui permet de retrouver le courant d'air au niveau d'une
convergence de galeries fossiles. Nous explorons celle de gauche, pour
retrouver finalement un actif de moindre importance ; arrêt au pied d'un
toboggan. Nous venons de faire près de 500m de première, de nombreux départs
sont à voir, le retour est enthousiaste. Les explorations sont lancées.
le trou de serrure ou "passage clé"
à -410
La jonction est à quelques mètres
Le 26 septembre, le deuxième actif est poursuivi sur 300m jusqu'à une
escalade dans le schiste (Participants : Serge et Erika Delpech, Henri
Guilhem, Christelle et Laurent Hermand).
Le 12 Octobre est une journée décisive qui marque le début des longues
explos ; le méandre fossile de droite est poursuivi et débouche à la voûte
d'une belle salle concrétionnée où coule l'actif principal retrouvé. Une
voûte mouillante ventilée défend la suite. Elle est franchie, ainsi qu'une
zone étroite entre calcite et paroi. Nous débouchons soudain dans une
grosse galerie où coule le ruisseau (15m de large, 10m de haut). Nous
poursuivons l'explo et sommes arrêtés au pied d'une belle cascade de 7m.
Au retour, nous descendons l'actif et jonctionnons avec le deuxième ruisseau
qui s'avère être un affluent ; ce bouclage nous facilitera l'accès pour
la suite. Parallèlement, une équipe commence la topo et découvre plusieurs
départs dans la galerie supérieure dite "des châtaignes" car les débris
végétaux proviennent de ce secteur. Le réseau dépasse déjà le kilomètre.
(TPST : 17h) Participants : S. Déméautis, S.Delpech, H.Guilhem, I.Mad,
L et C Hermand pour le SCA ; G. Gehin et deux autres membres pour le SCMNE.
Les 19 et 20 Octobre, la "baignoire" est dynamitée pendant que la cascade
terminale de 7m est franchie : en haut, le réseau se ramifie à nouveau.
Un bel affluent arrive de la gauche. Après un départ étroit, celui-ci
s'élargit brusquement au niveau d'un croisement de faille, la hauteur
atteint 30m, et c'est un véritable canyon souterrain que nous remontons
jusqu'à une superbe cascade tombant dans un gour. La cote atteinte est
de +160m par rapport au départ du réseau. Nous baptisons cet actif "affluent
de la grande cascade". Durant le retour vers le confluent, nous découvrons
les "tubes à contre pente", conduites forcées en série perpendiculaires
au pendage dont la formation dans le canyon pose beaucoup de questions.
L'actif principal est lui poursuivi sur 150m, jusqu'à l'inévitable cascade
tombant dans une jolie salle remplie de fistuleuses. Cote atteinte : +120m.
Dans le même secteur, un réseau fossile très concrétionné et fragile est
découvert, nous le baptiserons le "méandre blanc". Après un court bivouac
près de l'entrée du réseau, nous explorons le secteur de la galerie des
châtaignes. Des débris végétaux sont localisés dans une petite conduite
forcée ensablée. Après une première désobstruction, nous nous arrêtons
sur un siphon de sable. TPST : 28h. Participants : S.Déméautis, JM.Escande,
JM.Briffon, L. et C.Hermand.
dans le méandre blanc, à -320
Le 23/11, une nouvelle explo est tentée, mais une mauvaise surprise nous
attend : le siphon d'entrée est réamorcé. Nous sommes contraints d'attendre
la prochaine saison sèche pour poursuivre les investigations.
2003
Après les explos hivernales dans les Corbières (jolie première dans l'aven
de la Parcade pour ne rien cacher), nous revoici sur Matte Arnaude.
Le 16/05, première tentative de passage, le siphon est à peine désamorcé.
Il est malgré tout franchi et le dynamitage de la voûte commence, mais
le temps est compté. En effet, les piétinements font peu à peu céder un
barrage de sable un peu en amont, et l'actif réamorce rapidement le siphon.
Le retour est très "engagé" et se fait en apnée (5cm d'air). Participants :
S.Déméautis et L.Hermand
Le 30/05, le niveau d'eau a suffisamment baissé. Une nouvelle pointe est
organisée. Les principaux obstacles sont équipés en fixe, et la dernière
cascade du cours principal (6m) est franchie avec la méthode désormais
habituelle du planter de tige en fer à la massette dans le schiste. Henri
et Sébastien s'arrêtent sur rien après 150m de galeries concrétionnées
de belles dimensions pour attendre le reste de l'équipe. Pendant ce temps,
Laurent découvre un méandre fossile de plus de 100m qui permet de court-circuiter
sans agrès l'obstacle le plus physique du réseau (la première escalade
de 15m et la longue opposition qui lui fait suite). Participants :
S.Déméautis, H.Guilhem, L. et C. Hermand.
Les 28 et 29/06, une grosse équipe pluridisciplinaire se déverse dans
le réseau : L'explo du cours principal est poursuivie jusqu'à une grande
salle concrétionnée (30x20). La suite est une nouvelle escalade de 10m
dans le schiste. La cote atteinte est de +200m. L'équipe se divise ensuite :
Serge, Eric et Véronique reviennent en levant la topo Christelle et Michel
partent faire des photos dans le méandre blanc Laurent et Sébastien filent
dans l'affluent de la Grande Cascade et franchissent cette dernière en
artif. Ils aboutissent dans un grand méandre (20m de haut, 5m de large)
et s'arrêtent au pied d'une nouvelle escalade d'au moins 15m. Au retour,
tout le monde se retrouve pour un court bivouac sur les balcons de la
grotte aménagée. TPST : 23h15 Participants : S. et E. Delpech, V. Rieussec,
M. Bondifflard, S. Déméautis, L. et C. Hermand
galerie fossile à -290
Les 13 et 14/09/03, pas moins de 3 équipes simultanées poursuivent l'ouvre
collective. Deux groupes d'exploration continuent chacun une branche
pendant qu'un troisième continue la topo. Le résultat est éloquent : Dans
le cours principal, après l'escalade, la suite est exceptionnelle ; plusieurs
centaines de mètres de grosses galeries permettent d'atteindre un front
de trémie à la cote +300. Nous pensons alors la surface assez proche mais
la progression est stoppée. Dans l'affluent de la Grande Cascade, l'escalade
de 16m est franchie (dans un calcaire magnifique, ça change !). Un long
méandre tortueux lui fait suite. Au bout de 100m, les dimensions redeviennent
honorables et une nouvelle cascade de 6m nous barre la route à la cote
+230, mais ça continue. TPST : 23h Participants : JM Briffon, JM Escande,
I. Mad, S.,E. et E. Delpech, O. Coquelet, S. Déméautis, L. Hermand
Les 19 et 20/10, nous décidons d'une dernière pointe avant les pluies
d'hiver qui nous interdiront le passage une nouvelle fois pendant plusieurs
mois. Le but est de lever la topo du cours principal et d'explorer la
trémie terminale. Celle-ci est donc scrutée en détail : tout en haut,
Sylvain découvre une vaste salle d'effondrement mais sans suite. Pendant
ce temps, Laurent repère une bonne ventilation entre les blocs dans un
petit conduit latéral remontant, mais rien ne semble évident. TPST : 22h30
Participants : S. et E. Delpech, S. Delabre, L. Hermand
Cette sortie va marquer une transition dans les esprits. Désormais, les
efforts vont se concentrer sur un seul objectif : trouver le point d'origine
du réseau en surface, un accès qui serait permanent dans le but de continuer
dignement les explos, trop restreintes dans le temps par le siphon et
de plus en plus engagées physiquement et moralement.
dans la salle à -245
La quête de la jonction, un parcours semé d'embûches
et de rebondissements
Dès le début de l'année 2003, l'idée trotte dans les esprits ; l'énorme
courant d'air qui parcourt le réseau l'été doit provenir d'une ou plusieurs
entrées quelque part là-haut. Malheureusement, la zone a déjà été méticuleusement
ratissée par le passé et pour couronner le tout, la végétation est particulièrement
ingrate sur le secteur. Malgré tout, en extrapolant la position des galeries
et profitant des premières chaleurs, Laurent reprospecte le secteur présumé
le 7/06. Il découvre un important courant d'air aspirant au fond d'un
petit effondrement qui semble récent, au bord d'une piste abandonnée de
débardage. La coïncidence est troublante et suffisante pour entamer une
désobstruction. En 2 sorties (les 14 et 21/06), nous atteignons -8 entre
les blocs mais nous nous apercevons vite de l'importance des travaux d'étayage
à entreprendre. Nous sommes en effet au cour d'une trémie instable. Nous
ne le savons pas encore, mais nous sommes précisément à l'aplomb de la
trémie "terminale" du cours principal qui ne sera découverte qu'en septembre.
Cependant, nous découvrirons aussi que la nature n'aime pas les scénarios
trop simples. Le trou est codifié MA2 (Matte Arnaude n°2).
Le 12/07, Laurent découvre un nouveau petit trou souffleur dans un autre
vallon près d'une perte. Il pourrait correspondre avec l'affluent de la
Grande Cascade, qui a la particularité de posséder un courant d'air inverse
(remontant en été). Deux sorties de désobstruction lui sont consacrées
avant la trève estivale, mais la suite du MA3 (c'est son nom) est très
étroite.
2004
Après un été et un automne très chargés (une expé aux Picos de Europa,
des explos sur le réseau de Vignevieille dans les Corbières et celui de
Matte Arnaude notamment), nous voici de retour en surface à la charnière
de l'année 2004. La donne a évoluée : nous avons progressé dans la montagne
par le bas et la topo a suivi. Le MA 2, c'est prouvé, est idéalement placé
pour jonctionner. C'est fort de cette certitude que l'équipe initiale,
désormais renforcée par les frères Montoya et JC Bourrel, réinvestit la
cavité dès le 11 Janvier. Les moyens mis en ouvre vont être à la hauteur
de l'objectif : François a en effet conçu une cage en fer démontable de
200kg pour franchir la trémie et Jean-Claude s'est procuré des lames en
acier boulonnables pour consolider les parois. L'offensive est lancée,
et c'est une incroyable désobstruction qui commence, qui restera gravée
dans les annales et dans les mémoires de ceux et celles qui y ont participé.
En voici les principales étapes :
-25/01/04 : sortie désobstruction n°6 La cage a fonctionné, nous parvenons
à -15 dans un élargissement au milieu d'immenses blocs.
-8/02/04 : sortie désobstruction n°8 Nouvelle avancée, nous atteignons
une salle plus vaste à -22, la suite est à 45° mais toujours aussi instable.
Au retour, première alerte : un gros bloc se décroche et manque d'emprisonner
Serge, Eric et Sylvain.
-22/02/04 : sortie n°10 Une deuxième cage en fer (verticale celle-ci),
toujours fabriquée par François que l'on surnomme désormais Gustave (Eiffel),
est placée pour stabiliser un passage dangereux. La mission est un succès.
-7/03/04 : sortie n°12 Avancée de 10m dans la trémie. Après un nouveau
tir, un ressaut de 6m se présente. A deux doigts de s'y engouffrer, Laurent
sonde par réflexe un gros bloc douteux sur la gauche. Celui-ci amorce
alors un mouvement à peine perceptible qui soudain s'amplifie, puis c'est
le cataclysme : le sol se dérobe et plusieurs mètres cube de rochers sont
aspirés comme dans un sablier par le ressaut. Heureusement, personne ne
se situe dans la zone engloutie, tout le monde a pu adopter à temps une
position de repli stratégique. La tragédie vient d'être frôlée ; une descente
hâtive dans le ressaut nous aurait été fatale. Toute la trémie a bougé
et des craquements sinistres nous imposent de quitter les lieux pour laisser
reposer.
-14/03/04 : sortie n°13. Retour sur place. De nouveaux effondrements se
sont produits mais de moindre ampleur. La trémie semble s'être (relativement)
stabilisée et la désobstruction reprend.
-28/03/04 : sortie n°15 Nous avons stabilisé le ressaut grâce à des chaînes
et des plaques en acier et avons pu gagner quelques mètres en profondeur.
Nous sommes à -39 mètres et topographiquement proches d'une jonction (estimée
à 20m plus bas). En contrepartie, nous avons perdu la majorité du courant
d'air et ne savons plus dans quelle direction creuser. Nous décidons de
continuer à descendre.
-16/05/04 : sortie désobstruction n°19 La cavité est devenue un véritable
mécano géant et engloutit sans cesse plus de ferraille pour stabiliser
encore et toujours. Nous avons encore gagné quelques mètres mais à quel
prix ! Tout le monde attend impatiemment l'été pour pouvoir tenter une
jonction au son avec une équipe dans le réseau et savoir enfin où creuser.
L'été cette
année là se fera attendre : le siphon d'accès au réseau est encore amorcé
fin Juillet. Il faut patienter jusqu'à la mi-Août pour effectuer la première
tentative. Celle-ci a lieu les 14 et 15/08/04. Jean-Claude, Jean- Marie,
Serge, François et Jo se placent dans le MA2 à différents endroits de
la trémie. Laurent et Christelle constituent l'équipe de fond. En essayant
de progresser un peu plus dans la trémie terminale du réseau, Laurent
dynamite un bloc défendant le petit passage repéré l'année précédente.
Après le tir, c'est la surprise.un nouveau conduit fortement remontant
apparaît. Pendant ce temps, Christelle établit la première liaison radio
avec l'autre équipe à 17h30. L'exploration est relancée jusqu'à une escalade
de 6m, au niveau d'une grosse coulée de calcite. Quarante mètres de dénivellation
supplémentaires viennent d'être gagnés, la galerie est large, nous devrions
théoriquement avoir jonctionné. Pour rajouter un peu plus à l'enthousiasme
ambiant, les deux équipes peuvent maintenant communiquer par coups de
marteau interposés.
"la concrétion éclatée", une aberration
de la nature à -250
Pour la sortie
suivante, rendez vous est pris pour convenir au plus de monde possible.
Dans les esprits, la jonction est programmée pour le 18/09. Le jour J,
c'est une équipe de 10 spéléos qui part dans le réseau la fleur au fusil
pour franchir ce que nous pensons être la dernière escalade. Certains
ont emmené le Champagne dans les kits pour fêter l'événement annoncé.
L'équipe de pointe, emmenée par Christelle, effectue rapidement l'escalade,
bientôt rejointe par Sébastien, Sylvain et Laurent qui ont équipé quelques
escalades jusque là franchies en libre. Pendant ce temps, une équipe topo
relève les précieuses données plus bas. Et le réseau va une fois de plus
nous surprendre. En effet, au lieu de retomber sur la trémie du MA2, nous
enchaînons salles et ressauts en première, toujours plus loin. De toute
évidence, nous avons quitté l'aplomb du thalweg du MA2 et progressons
maintenant sous les crêtes du massif. Au bout d'un moment, les dimensions
s'amenuisent, mais c'est bientôt un nouveau coup de théâtre : nous débouchons
par une lucarne dans une vaste galerie parallèle. L'aval est à peine parcouru,
nous nous concentrons sur l'amont. Lorsque nous arrivons au terminus,
le constat est éloquent : l'altimètre indique que nous avons gagné 100m
de dénivellation supplémentaires, autant dire que nous sommes certains
d'avoir pris possession du record en la matière du Languedoc-Roussillon
sans nous y attendre le moins du monde. Mais toujours pas de jonction.
Le champagne est quand même laissé sur place. TPST : 23h30 Participants :
JM Briffon, JM Escande, I. Mad, S. Déméautis, S. Delabre, L. et C.
Hermand pour l'équipe de pointe ; JC Bourrel, A. Marty, S. Delpech pour
l'équipe topo
Un "petit" disque bien protégé. Le spéléo
donne l'échelle.
L'essai suivant a lieu les 23 et 24/10/04 Nous mettons toutes les chances
de notre côté ; il faut en avoir le cour net. L'équipe de fond emporte
une radio et un émetteur ARVA tandis qu'une autre équipe est déployée
à nouveau dans le MA2 avec le même matériel. Le contact radio est à nouveau
établi en fin d'après midi, vers la cote 600m. Le signal atteint son paroxysme
vers la cote 625, où dans le réseau on entend même le bruit des blocs
remués dans le MA2, puis décroît irrémédiablement jusqu'à se perdre à
la cote 650. L'ARVA, quant à lui, n'a frémi que timidement à la cote décisive,
où une fouille méticuleuse n'a livré aucun passage. Il faut se rendre
à l'évidence, les deux cavités se croisent sans se rencontrer, si ce n'est
probablement plus bas, dans la grosse trémie du cours principal à la cote
570. Le retour se fait dans une ambiance désabusée. TPST : 22h30 Participants :
pour l'équipe MA2 : F. et J. Montoya, S. Delpech, JC Bourrel ; pour l'équipe
de fond : H. Guilhem, JM. Briffon, JM. Escande, I. Mad, L. et C. Hermand
Tous calculs
faits, il faudrait descendre de 40m de plus dans la trémie du MA2. Les
avis sont unanimes, c'est impossible.Après autant de temps et d'énergie
engloutis dans cette désobstruction, difficile de tourner la page. Pourtant,
la saison sèche est sur le point de se terminer, et l'exceptionnelle dynamique
qui s'était mise en place risque d'être définitivement cassée si nous
ne tentons rien. Il faut rebondir vite. Le 30/10, Laurent
prospecte méticuleusement la zone de contact calcaire-schistes en surface
où doit théoriquement sortir le réseau ( en effet, les schistes ont été
repérés dans l'extrême amont). Autant chercher une aiguille dans une botte
de foin, le contact est souvent masqué, la végétation épineuse est omniprésente.
La conviction est acquise que l'entrée du réseau, si elle a bien existé
un jour, est totalement comblée aujourd'hui. Seul un petit amas de mousse
suspect est repéré ce jour là. Les 13 et
14/11 est mise en place "l'expédition de la dernière chance 2004 ". Une
équipe légère de fond (C. Hermand, I. Mad, JM Escande), avec radio
et ARVA, file se placer au point le plus élevé du réseau. Pendant ce temps,
en surface, une autre équipe (L. Hermand, JC. Bourrel, S. Delpech,
H. Guilhem) se met en mouvement avec le récepteur pour ratisser les
épineux. Les journées sont courtes, il faut faire vite. Un premier passage
sur les sentiers et pistes quadrillant le point de sortie supposé ne donne
rien. L'espoir est en train de s'envoler quand soudain un appel du fond
retentit dans la radio : l'équipe du fond avait juste pris un peu de retard
et est à présent en place. La zone d'où provient le signal est vite cernée
et le travail d'affinage commence avec l'ARVA, à quatre pattes dans les
épines. Au bout d'une heure, deux points clés distants de 10m où le récepteur
sature en signal ont été définis : le premier est le tas de mousse repéré
en bord de sentier 15 jours auparavant, le second un tas de blocs dans
la végétation. L'ambiance est quasi-surnaturelle : en posant l'oreille
par terre, les coups frappés quelque part en dessous sont entendus distinctement.
Les "morts vivants", depuis leur caveau géant, ont en effet découverts
quelques ossements et divers insectes qui les incitent à creuser, pensant
ressortir le jour même. Le bouchon ayant été estimé à une dizaine de mètres
verticaux, ils devront finalement se résoudre à faire demi-tour. Leur
frustration est bien légitime ; être à quelques mètres de la surface après
un tel parcours souterrain !! Ils iront se défouler en faisant un peu
de première dans l'aval de la nouvelle branche avant leur retour. TPST :
23h
foisonnement de concrétions (calcite, aragonite) dans l'affluent
des laminoirs
En conclusion,
notre réseau possède bel et bien une entrée, mais elle est totalement
obstruée depuis belle lurette, il n'en subsiste aucune trace, il va falloir
creuser à l'aveugle. Le défi qui est maintenant à relever n'est pas mince
et est une première dans l'histoire du club : la profondeur à atteindre
est conséquente (celle-ci a été estimée en extrapolant le pendage du schiste
depuis le contact en fonction des données souterraines) et nous n'avons
pas de fil conducteur. Quelque jours
plus tard, après une série d'orages, l'accès au réseau se referme à nouveau
pour huit mois, et tout comme exactement un an auparavant, une énorme
désobstruction va s'engager en surface. La nouvelle
s'est vite répandue, et dès le samedi suivant, ce sont pas moins de 14
personnes qui répondent présent pour attaquer le chantier. La cavité sera
le trou de Matte Arnaude n°5 (MA5). Cette fois ci, plus de cages en métal,
le club a fait l'acquisition d'un gros perforateur-burineur 220V, le groupe
électrogène est amené en surface, le perçage se fera à présent avec une
mèche de diamètre 25 et de 50cm de longueur. Nous savons que le chantier
sera long, nous décidons d'y travailler à un rythme hebdomadaire autant
que possible. En voici les étapes marquantes. 18/12/04 ;
sortie désobstruction n°5 Nous sommes à -3 lorsque au cours d'un perçage,
la mèche rencontre une petite fissure d'où sort un léger courant d'air
en pression. Le signe est encourageant. 29/01/05 ;
sortie n°11 La profondeur du trou est de 6m lorsque nous débouchons à
la voûte d'une diaclase totalement colmatée par du limon tassé. Quelques
débris de concrétions font partie du remplissage. 5/03/05 ; sortie
n°15 Nous avons continué à descendre en suivant le fil conducteur de la
diaclase. Le rude hiver a considérablement réduit les effectifs, en effet
de nombreuses séances ont eu lieu dans la neige et par des températures
glaciales. Le moral des troupes est donc bien entamé lorsque en fin d'après
midi, à 8,5m de profondeur, un petit trou est ouvert au ras du remplissage,
qui laisse échapper un bruit d'air significatif. Nous avons une direction
à suivre. 9/04/05 ; sortie
n°19 Toujours sous la neige ! Nous avons atteint les 10m de profondeur
dans un puzzle de blocs décomprimés, mais toujours dans une gangue hermétique
de limons sableux et argileux. Le courant d'air, de faible débit, sort
à présent d'une fissure de la paroi mais en hauteur. On ne sait plus où
creuser. Certains parmi nous n'y croient plus et ne viennent plus, d'autres
viennent encore de temps à autre mais sont fortement découragés. Serait-on
passés à côté ? 30/04/05 ;
sortie n°23 Les 4 dernières journées de travail n'ont rien apporté de
neuf, nous avons tourné en rond et le courant d'air sort à présent du
plafond, ce qui le rend douteux. De plus, la hausse des températures l'a
rendu presque indétectable (inversions). Le moral est au plus bas, l'effectif
aussi. Seul un noyau dur (JC Bourrel et L. Hermand) y croit encore et
persiste à creuser. Nous décidons d'abandonner le creusement de la fissure
du plafond et de repasser au crible toute la zone du fond entre les blocs
à l'aide de cônes d'encens pour matérialiser le moindre flux d'air suspect.
Nous repérons ainsi un fragile trou dans le remplissage de la taille d'une
pièce de monnaie qui aspire nettement la fumée. Nous nous mettons à creuser
sans pouvoir ressortir les remblais et avançons ainsi d'un mètre cinquante
en prenant bien soin, toutes les 10mn, de vérifier avec l'encens que notre
travail n'a pas rebouché le passage du mince filet d'air. A la fin de
la journée, alors que le peu de place disponible a été utilisée pour le
stockage, les derniers coups de pioche font soudain mouche. Un trou de
10 cm de diamètre vient en effet de s'ouvrir à bout de bras entre ce qui
semble être une paroi et un gros bloc, et c'est un puissant bruit de ronflement
qui s'amorce. Nous restons dix bonnes minutes inactifs et ébahis comme
des gamins à écouter cette douce musique. Nous savons ce que cela signifie,
nous sommes tout proches. 7/05/05 ; sortie
désobstruction n°24 C'est frénétiquement que Laurent et Jean -Claude se
retrouvent à 9h au bord du trou pour en découdre avec la roche. Le suspense
ne dure pas longtemps : la ventilation augmente en effet à chaque gain
de place. Un dernier bloc cède, le courant d'air se transforme instantanément
en vent puissant s'enfonçant dans les profondeurs. Le passage vient de
s'ouvrir. En passant
la tête, nous avons reconnu immédiatement nos traces d'il y a plusieurs
mois, difficile de décrire l'émotion ressentie en pareil instant. Alors
que nous amorçons un dernier tir de confort, Isabelle et Jean-Michel arrivent
en surface et n'en croient pas leurs oreilles. La jonction est effective
à 10h et nous sommes tombés à l'endroit précis où avait été placé l'émetteur.
Il nous faut quelques heures pour réaliser ce qui vient de se passer ;
trois années d'effort collectif soutenu viennent d'être récompensées.
Quelques coups de téléphone sont passés avant 12h et c'est bientôt une
vingtaine de personnes ayant participé de près ou de loin aux travaux
qui se retrouvent sous terre dans l'après midi pour aller sabrer le Champagne
laissé là dans cette éventualité depuis l'année précédente dans la salle
du même nom à -90. Toute la fatigue, les raisonnements des uns et des
autres et les déconvenues sont alors bien vite oubliés.
dans un méandre fossile vers -300
Bilan
Ce dénouement
est en réalité un triple événement. Nous avons tout d'abord réalisé un
vieux rêve de club de presque quarante ans, depuis que les premiers explorateurs
du réseau de Cabrespine avaient foulé ses galeries, l'idée d'une jonction
comme celle ci avait fait du chemin dans les esprits, mais les nombreuses
tentatives s'étaient toutes soldées par des échecs. La traversée du massif
est aujourd'hui rendue possible, et entre dans les "grandes" de France,
de par sa dénivellation, son développement et la variété de ses paysages.
De plus, le réseau de Matte Arnaude-Cabrespine s'est octroyé le record
de profondeur pour la région Languedoc-Roussillon durant cette aventure,
cadeau supplémentaire que nous étions loin d'envisager au départ. Au passage,
plusieurs kilomètres de galeries sont donc à rajouter au système karstique
Clamoux-Pestril. Cerise sur le gâteau, la dénivellation totale de -501m
(dont 25m en siphon), lui fait franchir une barrière psychologique supplémentaire,
puisqu aucune autre cavité atteignant les -500m n'existe à ce jour sur
tout le Massif Central Français. Cette aventure
a été collective; en plus des acteurs principaux dont les noms figurent
dans les compte rendus d'explos, beaucoup de personnes ont aussi apporté
leur pierre à l'édifice en aidant dans les deux chantiers de surface.
En guise de reconnaissance, voici leurs noms, en esperant n'oublier personne.
Il s'agit de : JP Perramond, M. Noël, C. Galban, M. Bondifflard, O.
Coquelet, O. Brieu, P. Pagès, A. Cutullic, Quentin et Pitchoun, M. Delpech,
C. Jacquiri, A. Capdeville, O. Monier, A. Faure, S. Lamarque. Un grand
merci aussi à Christiane Gros pour son soutien logistique
ultra réconfortant lors des deux grosses campagnes de désobstruction.
Sa maison à Trassanel a souvent été la "base
arrière" indispensable à la réussite de nos
travaux.
Epilogue
Bien sûr l'histoire
ne s'arrête pas là. La traversée est inaugurée le 21/08/05 par 12 personnes
(JC. Bourrel, C. Galban, F. et J. Montoya, JM. Et C. Briffon, S. Delpech,
O. Coquelet, JP. Perramond, P. Wacheux, C. et L. Hermand). Pour la petite
histoire, après la confluence, l'équipe en rencontrera une autre, à 1,5
km de la sortie, avec un blessé à l'intérieur. Nous serons obligés de
déclencher un secours qui se finira sans encombres dans la soirée.Les explorations
dans Matte Arnaude reprennent à l'automne 2005, puis continuent en 2006
et 2007. Un bon kilomètre de réseau est encore ajouté au système. A noter
deux belles premières dans l'affluent de la Grande Cascade le 11/11 05
(JM. Escande, JM. Briffon, S. Delabre, S. Déméautis, V. Rieussec, L.
Hermand), puis dans l'affluent des Laminoirs en Juin 2006 (JM.
Briffon, A. Calas, S. Delabre) où une superbe salle-géode sera découverte
(la salle Blanche). Si l'ossature du réseau semble avoir été explorée,
de belles surprises restent à ce jour possibles. Il reste encore en effet
pas mal de lucarnes et d'escalades à faire le long du parcours. De plus,
un dernier mystère subsiste : il s'agit d'un petit cours d'eau qui disparaît
en surface. Pensant celui-ci en relation avec l'actif des Laminoirs, il
est coloré le 15/04/06 pour confirmation ( JC. Bourrel, A. Marty, L.
Hermand) mais le traçage est négatif. Il semble donc bien qu'il ne
réapparaisse dans le réseau qu'au delà des -400 et corresponde avec l'affluent
des Châtaignes, qui charrie occasionnellement feuilles et bouts de bois.
Potentiellement, il s'agit donc d'un cinquième actif à découvrir de plus
de 350m de dénivellation au contact des schistes. A suivre.
les aragonites en boule, une forme particulière de concrétionnement
dans la salle blanche
La cavité est
fermée afin de protéger les zones sensibles du réseau et la partie aménagée
de Cabrespine. En raison d'une gestion en bonne entente avec les gérants
de celle-ci, et aussi du risque "crue" an niveau du siphon temporaire,
la traversée n'est pas libre. Elle est organisée plusieurs fois par été
et encadrée par le SCA.
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